La « dentelle » de Lefkara

La dentelle de Lefkara est inscrite depuis 2009 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Sa forme traditionnelle est épaisse et monochrome, à motifs géométriques ; elle est classée parmi les dentelles d’ameublement. Cependant il se fait aussi à Lefkara des ouvrages fins, polychromes, ou brodés de motifs de fleurs.

Lefkara

Au sud-ouest de l’île de Chypre, les villages de Pano Lefkara et Kato Lefkara sont surtout connus pour leur dentelle traditionnelle remontant au XIVe siècle, la Lefkaritika, ainsi que pour leur orfèvrerie d’argent.

Importance sociale de la dentellerie

La réalisation de dentelles de Lefkara est la principale activité des femmes des deux villages. Dans ce que l’UNESCO appelle « une combinaison d’art et de convivialité sociale », elles travaillent à la main en discutant, assises en petits groupes ou couviges, dans les ruelles et les patios.

La formation des fillettes commence par l’observation des dentellières en activité. Après plusieurs années, leur mère ou leurs grand-mères les initient à leur art. Une fois la technique totalement maîtrisée, les dentellières utilisent leur imagination pour créer leurs propres motifs et leurs œuvres, à la fois traditionnelles et personnalisées.

Les dentellières de Lefkara tirent une grande fierté de cette activité quotidienne, qui est à la fois un symbole identitaire, et un témoignage de leur capacité d’accueil et d’intégration de multiples influences.

La Lefkaritika

Ouvrages géométriques monochromes

Les motifs géométriques de la Lefkaritika sont en grande part hérités d’une broderie blanche plus ancienne, l’Asproploumia, caractérisée par des motifs géométriques en point de satin et des jours simples, proche des motifs décoratifs byzantins. La Lefkaritika garde également la trace de l’époque pendant laquelle Venise a régné sur Chypre, de 1489 à 1571. La période vénitienne correspond aux débuts du Reticello, qui était à l’origine une forme de broderie blanche à jours à fils coupés dans un tissu de lin, rebrodés au point de feston ; le tissu support a été ensuite remplacé par un réseau de fils, le Reticello devenant par là-même une véritable dentelle.

Ouvrages polychromes

Le contraste entre la couleur de la toile de lin et celle des fils rajoutés met en évidence la nature de broderie à jours de la Lefkaritika polychrome.

Techniques de fabrication

Le matériel

La Lefkaritika est travaillée sur une toile de lin fixée par trois côtés à un coussin, lequel est soit posé à plat sur les genoux, soit appuyé contre un meuble.

Les 4 étapes de base

La fabrication de la Lefkaritika comporte quatre étapes de base :

  1. le point d’ourlet, ou de feston, délimitant et ornant les zones découpées,
  2. le coupé,
  3. le remplissage au point de satin,
  4. le liseré au point d’aiguille.

Les étapes 1 (point d’ourlet) et 2 (coupé) appartiennent à la technique des jours à fils coupés. On les retrouve dans plusieurs types de broderies, comme le Hardanger, qui présente des similitudes avec la Lefkaritika ; certains auteurs écrivent qu’en Lefkaritika, le coupé précède le point d’ourlet.

L’étape 3 (remplissage au point de satin) est une broderie sur les zones non découpées de la toile de lin, qui est le plus souvent limitée à quelques motifs, mais qui peut aller jusqu’à recouvrir entièrement la toile support. Le point de satin, aussi nommé passé plat, est une succession de points lancés parallèles, très proches, remplissant un motif en l’enjambant dans sa largeur.

L’étape 4 (liseré au point d’aiguille) est une ornementation des bords en véritable dentelle à l’aiguille.

Diversité des motifs géométriques

L’article « Lefkara Lace Up Close » du site Needle n’ Thread (trad. fr.) montre une grande variété de motifs ornant les jours plus ou moins grands pratiqués dans la toile, ainsi que la diversité des motifs brodés au point de satin au voisinage des jours.

Controverse : dentelle ou broderie ?

La question de savoir si la forme traditionnelle est une véritable dentelle, ou une broderie experte, avec jours à fils tirés rehaussés de dentelle à l’aiguille, fait débat.

Comme vu plus haut, la Lefkaritika comporte des éléments de dentelle à l’aiguille (remplissage des grands jours, liseré) et des éléments de broderie (point de satin, point de feston, point d’ourlet). Étant donné qu’elle est toujours travaillée sur une base de toile, certains considèrent qu’il ne s’agit pas d’une dentelle, mais d’une broderie à jours ; d’autres, au vu de sa similitude avec le Reticello non figuratif, qui est passé de broderie à dentelle, considèrent la Lefkaritika la plus ornée comme une véritable dentelle.

Le site de l’UNESCO ne tranche pas la question, appelant alternativement la Lefkaritika une dentelle (« lace ») et une broderie (« embroidery »). Dans la vidéo chypriote de présentation de la Lefkaritika (sous-titrée en anglais), ces deux termes sont utilisés de façon interchangeable par les officiels de Lefkara comme par les dentellières.

Sources
Pour aller plus loin

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *