
Pendant le 5e festival de dentelle de Saint Marcel, Annie Falezan, lauréate 2011 de l’examen Un des Meilleurs Ouvriers de France en dentelle Duchesse, et auteur du livre en deux tomes « Cours de dentelle Duchesse » a accepté, au pied levé, de nous accorder un entretien.
Les débuts


Dentelles confédérées : Comment êtes-vous arrivée à la dentelle, et au concours MOF ?
Annie Falezan : J’étais enseignante, j’ai enseigné pendant 32 ans. Quand j’ai pris ma retraite, j’ai commencé à faire de la peinture, j’ai continué la broderie que je faisais déjà avant… Et puis un jour une amie m’a dit, « Écoute, viens voir, j’ai commencé une activité qui devrait te plaire ». J’avais déjà vu des dentellières qui travaillaient à toute allure, et donc : non. Ce n’était pas pour moi, la dentelle, alors je n’avais pas l’intention de rester longtemps. Et puis, en fait, la prof m’a mise devant un carreau, on dit carreau pour la dentelle Torchon, et puis bon, au bout des deux heures et demie, je me suis dit : « Mais après tout, j’y suis arrivée ». Donc, depuis, je n’ai pas arrêté en fait.
Premières années de formation
J’ai commencé par deux ans de dentelle du Puy-en-Velay, on dit dentelle Torchon. Pendant deux ans, j’ai pris des cours avec une personne formée à l’école du Puy-en-Velay. Comme je venais d’être malade malgré tout, j’avais envie de me vider la tête, et ça m’a bien aidée, ça m’a vraiment beaucoup aidée. Mais, le fait d’avoir des points, des traits sur le carton, au fil du temps, je me suis sentie un peu prisonnière, j’avais envie d’autre chose.
Rencontre avec la Duchesse

Avec ma prof et les copines, on allait dans des expositions comme celle d’aujourd’hui, et je suis tombée en arrêt devant une feuille d’éventail avec des fleurs, des feuilles et des volutes. Et je me suis dit : « C’est ça que je veux faire », au lieu de tous les fonds que je devais apprendre.
Formation en Duchesse

L’année suivante, j’ai commencé avec une prof à Paris, très minutieuse, elle était impeccable, mais on n’avait pas tellement d’atomes crochus. Et l’année d’après, j’ai rencontré Yvonne Roussy, et là, ça a été vraiment le gros déclic. Comme j’ai dit, la dentelle m’aidait énormément. Et donc, j’ai passé deux ans avec elle. Elle organisait des stages à l’école du Puy-en-Velay, mais en dentelle Duchesse.
À la fin de la deuxième année que j’ai passé avec elle, elle m’a donné un ouvrage à réaliser. C’était un centre de châle à réaliser avec du fil ancien. J’ai terminé cet ouvrage-là, et puis je me suis dit, bon, puisqu’elle prend sa retraite, il faut que je continue.
Pourquoi le concours MOF
Quand on mangeait ensemble, comme elle était Meilleur Ouvrier de France, elle parlait toujours de ses copines, Meilleurs Ouvriers de France, une telle, une telle. Alors, quand je me suis retrouvée toute seule, je me suis dit : « Bon, je vais regarder le sujet sur Internet. Si le sujet me plaît, je le ferai ». Je me suis inscrite. Et puis, le sujet m’a plu, énormément. « Un ou plusieurs oiseaux, dans un cadre végétal et floral ». On avait un an pour faire le dossier, et un an pour réaliser la dentelle, mais sans rien changer du tout.
Comment j’ai progressé en Duchesse

Pendant les cours de la première année [en Duchesse], avec la première prof, je suivais bien les traits, mais par la suite, avec Yvonne, j’avais toujours envie de rajouter ou de supprimer un petit quelque chose.
La deuxième année, elle me prenait une fois par mois, 3h le matin, 3h l’après-midi, et puis j’avais un mois pour réaliser ce qu’elle me donnait… Et ça, ça m’a beaucoup aidée, dans la mesure où je ne voulais pas la déranger. Quand j’avais un souci, je cherchais, de façon à trouver une solution. Et… une fois arrivée au cours, je me rendais compte que ma solution n’était pas forcément la sienne.
Mais elle me disait : « Du moment que l’esthétique est respectée… c’est bon ». Pendant les cours, c’était vraiment agréable avec elle : détendu, et puis, bon, j’avais les oreilles qui traînaient partout. En début de cours, Yvonne passait de l’une à l’autre et commentait le travail. J’avais cours le mardi. Et le mercredi, je refaisais ce qu’on avait fait en cours, de façon à prendre des notes. Quand j’ai fait les livres, ça m’a aidée, parce que j’ai repris mes notes pour transmettre le plus fidèlement possible mais en y mettant mes astuces.
Le dossier MOF
Et donc, pour le MOF, pour l’ouvrage, le sujet m’a plu. On devait le réaliser à la maison. J’avais un commissaire qui était désigné. Bon, je n’ai pas eu de contact avec lui pendant tout le temps où j’ai travaillé. J’ai travaillé pendant un an sur le dossier qui était qualificatif, et puis ensuite, la réalisation.


Pour faire le dossier, on avait le droit de s’inspirer de tout ce qui nous tombait sous la main, à condition de le dire : il fallait qu’on dise pourquoi on avait choisi ce dessin-là, il fallait donner les sources d’inspiration. Donc, je leur ai même fourni le morceau de tissu qui m’a inspirée pour faire le coin gauche. Parce que, quand j’en suis arrivée là, je voulais faire des plumes. Il y a donc l’oiseau. Il y a le coin à droite : la branche de pommier avec les rayons du soleil. Et puis, à gauche, j’avais un trou. Je voulais faire des plumes. Puis, je me suis dit : « Cadre végétal et floral. Les plumes, ce n’est pas végétal ». J’ai eu un trou à ce moment-là. Puis j’ai cherché. Et donc, je leur ai donné le morceau de tissu imprimé.
L’évolution du dessin
Donc, je travaillais sur calque. Et puis, oui, il fallait qu’on fasse des textes. Ce n’est pas ce que j’ai réalisé, là, qui a été ma première idée. Au début je voulais faire une mésange : un rouge-gorge qui regardait une mésange sur une branche de rosier. J’avais même commencé d’ailleurs. Et puis, c’est mon fils qui m’a dit, « Mais pourquoi tu ne fais pas un nid ? » Je lui ai dit, « Un nid avec des oisillons dedans ? » Alors j’ai cherché, j’ai cherché…



Je suis partie de deux aquarelles de John Gould. Et donc, ça s’est fait. Parce que, bon, je voulais y mettre du sens : la mère a besoin de liberté pour nourrir ses enfants. Et pour moi, la liberté, c’est très important. C’est pour ça que c’est ouvert d’un côté. J’ai créé le dessin avec ce que j’étais, en fait. Et puis, de toute façon, je ne l’ai pas fait pour enseigner. Je l’ai fait par défi personnel, en me disant, « Je vais voir si je suis capable de tenir deux ans et de partir de la feuille blanche, pour arriver à l’ouvrage terminé ». Ça n’a pas été facile.
La réalisation de l’ouvrage
Dentelles confédérées : Est-ce que vous avez eu un contact avec les organisateurs pendant la réalisation ?
Annie Falezan : Alors, je n’ai pas eu de contact pendant tout mon travail. J’ai eu des contacts à la fin, quand le commissaire est venu pour chercher l’ouvrage et pour le remettre au jury. On a aussi eu une réunion avant, entre personnes qui voulaient passer le concours. Et moi, c’était fini à cette époque-là. Parce que c’était mon premier vrai dessin de A à Z.

En le réalisant, je me suis rendue compte que si je ratais… Parce que c’est une dentelle à fils coupés. Et quand on se trompe, on coupe le morceau, on recommence. Mais… Au fur et à mesure que j’avançais dans la réalisation, je me suis rendue compte que si je ratais quelque chose dans la queue de l’oiseau, il fallait que je recommence aussi le nid. On avait un délai. Il fallait être prêt. Alors là, j’ai travaillé, oui, beaucoup. Préparer le MOF, ça demande quand même beaucoup, beaucoup de travail. Je faisais 8 heures par jour, 6 jours par semaine. Et je me suis dit : « Si je suis obligée de recommencer, il faut que j’aie du temps pour refaire le nid et l’oiseau avant la date« . Et donc… je n’ai pas été obligée de refaire, alors j’ai terminé le 19 décembre 2010. Et c’était pour mars 2011.

Si j’avais cassé une lisière, j’aurais pu recommencer ; j’aurais eu le temps. Et quand on a eu cette réunion avec les autres candidats, je me suis rendue compte que, oui, c’était bon. Moi, j’étais prête. Il était dans la boîte. Il était fait.
Un parcours éprouvant
Une fois lauréate, j’ai participé à quelques réunions avec les autres nouveaux lauréats. Et je me suis rendue compte que, quels que soient les métiers, en fait, on passe tous par les mêmes épreuves. Des nuits blanches. Avec des solutions le matin. Mais joaillier ou ébéniste, c’est vraiment le même parcours. C’est une belle aventure, mais je l’aurais pas refaite. Parce qu’il faut quand même… Beaucoup de cran pour le conjoint. J’ai eu la chance… Je ne dirai pas plus. Oui. Belle aventure.
Mais… oui. Ça me replonge. Donc, c’est sûr que le conjoint doit être solide. Il doit avoir de la patience. Et puis, épauler. Et ça, Michel m’a toujours, toujours soutenue. Même dans les moments difficiles, en fait. Parce qu’il n’y a pas que du plaisir quand on prépare un concours comme ça. Il y a aussi des moments de découragement. Il y a des moments où on est exalté. Et puis, ça retombe aussi sec. Disons que, oui, on passe par des étapes. On se connaît mieux. On se connaît mieux parce qu’on sait ce qu’on est capable de faire. Ça, c’est comme un gros pépin de santé. On sait qui on est, en fait.
Alors, donc, moi, j’avais prévenu très peu de personnes, comme je ne me sentais pas prête. On n’était vraiment pas nombreux à savoir. Yvonne n’était pas au courant, dans la mesure où elle faisait peut-être partie du jury. Je n’en savais rien. Donc, je ne l’avais pas prévenue. Avant de commencer, je lui avais posé une question technique sur le tulle. Après plus de contact.
Après le concours
Ça m’a permis de faire des connaissances, en particulier avec Catherine Laurençon, qui était Meilleur Ouvrier de France en peinture à l’aiguille. Qui avait fait un ouvrage… Génial. Et puis bon, par la suite, rencontrer des Meilleurs Ouvriers de France et être invitée à l’Élysée, c’est vrai que c’était sympa aussi.
Dentelles confédérées : vous avez enseigné ensuite ?
Annie Falezan : Oui, mais je ne l’avais pas préparé pour ça, ce n’était pas le but. Alors, je me suis retrouvée à être obligée d’aller aux Impôts pour déclarer mon activité, puisque moralement je devais transmettre. J’avais participé à une petite réunion dans mon village. Et puis, là, j’ai exposé mon oiseau. Et donc, des dames m’ont dit : « Oh, mais on voudrait bien essayer ».
Ben oui, mais essayer la Duchesse comme ça… En Belgique, c’est ce qu’elles font. Mais moi, je ne me sentais pas capable de leur apprendre ça tout de suite.
Alors, ces dames-là, je les ai prises pour leur apprendre la dentelle Torchon et les meilleures passeraient à la Duchesse lorsque les bases seraient acquises. Mais je n’étais pas MOF en dentelle Torchon, moi. Alors, il a fallu que je réapprenne avec des bouquins.


Au fil des années, j’ai eu un peu plus d’élèves. Et puis, je me suis vite rendue compte que plus de 5 élèves à la fois en Duchesse, ce n’était pas possible. Enfin, à la fin, je les prenais même deux par deux, ou toute seule. J’ai donc commencé à reculons mais je dois avouer que j’y ai pris beaucoup de plaisir et fait de belles rencontres. Comme je donnais des fiches après chaque cours et que je les complétais grâce aux questions que « mes filles » me posaient, j’ai eu l’idée d’en faire un livre… puis deux. J’ai dû arrêter de donner des cours en 2020 car j’ai eu un gros problème de santé, mais les livres sont là.
Pour la suite, nous allons continuer à participer à quelques expositions pour faire connaître cette dentelle et faire de belles rencontres.

Dentelles confédérées : Merci beaucoup pour cet entretien !

